Sunday, April 14, 2013

Deux Chrétiens sur l'amour et le mariage

Selon Jean Paul II (s'il était pape), quand il était encore Karol Wojtyla, archévêque (s'il l'était) de Cracowie, seul l'amour très profond peut rendre ce qu'on appelle "l'acte d'amour" à la fois honnête et humaine. Deux personnes qui le font sans s'aimer profondement, se mentent avec leurs corps (ce qui est, alors, pire que de se mentir avec ses bouches, car plus intense, et donc plus facilement crû). Le vrai sens de cet acte est un don de soi sans réserve et sans regret, ce qui ne peut pas exister - c'est ici que ça devient interessant pour un Chrétien - à moins que la fidélité et la fertilité soient décidées en avance, quand on a encore du souffle pour se parler avec un peu de calme, et donc définitivement. D'où la nécessité de se marier avant de passer à l'acte (autrement ce n'est pas décidé en avance en toute connaissance de la question) et de rester ouverts à la fertilité une fois mariés.

Il y a là, comme explication de la morale chrétienne, de la grande poësie qui m'a touché quand j'étais jeune et encore convaincu qu'il était le pape à cette époque là.

Comme explication de la morale chrétienne, ceci reste par contre un peu en-dessous de la clarté juridique et logique souhaitable. Si, en effet, tel couple ne peut pas vraiment passer à cet acte sans multiples mensonges du corps sans avoir préalablement décidé et non de manière préliminaire mais définitive de rester fidèles et ouverts à la fertilité, il n'est pas du tout difficile de croire qu'un couple puisse croire à ce don de soi sans réserve aussi en d'autres connexions.

Sont-ils donc en bonne foi s'ils passent à l'acte avant de se marier ou même - ce qui est encore pire - avec une capote?

Et il y a des mariages de raison où sur le plan psychologique, le don de soi est loin d'être mutuel ou mutuellement complêt.

Devraient-ils divorcer, ou, à défaut, vivre en frères et soeurs jusqu'à ce qu'on ait achevé un don de soi complêt et mutuel sur le plan subjectivement vérifiable?

Clive Staples Lewis, par contre, Anglicain plutôt tradi, évolutionniste de longue durée sur le plan zoologique mais non pas sur le plan spirituel, a donné un autre mot:

"It has not pleased our maker that the distinction between sin and virtue should turn on the presence or absence of fine feelings."


Ceci de la discussion soit à la fin du troisième amour,* qui est celui entre les sexes (ερως, amor), soit au début du quatrième, qui est l'amour inspiré par Dieu, pour lui-même et pour le prochain, selon sa sainte loi (αγαπη, caritas).

Il continue de dire, que les critères qui rendent un acte licite ou illicite dans la domaine de sexualité sont, comme en tout autre domaine, de nature objective et non pas sentimentale. En ce domaine ci: fidélité, fertilité (ou échec involontaire de fertilité, ce qui n'est pas un péché).

Il y a, comme le dit Chesterton, des bonnes raisons pour se marier quand on est amoureux avec une personne dont on est amoureux, à savoir que l'homme et la femme sont tellement différents que pour s'habituer bien l'un à l'autre il vaut mieux le faire dans une atmosphère de tendresse et de bonne volonté exceptionnelles - deux fers durs doivent, pour être bien liés, être fourgeonnés quand ils sont chauds-rouges.

Mais ceci n'est ni une raison de faire autre chose que le mariage chrétien quand on est amoureux (deux hommes qui le seraient l'un de l'autre, ou un homme amoureux d'une femme mariée à un autre n'auraient pas raison par le fait de ce sentiment), ni une raison de ne pas se marier parce qu'on n'est pas amoureux (un de mes meilleurs amis semble avoir trouvé sa femme plutôt en atmosphère amicale et raisonnable qu'en atmosphère très amoureuse - comme les parents de St Jean Bosco, d'ailleurs, qui se sont parlés environ une heure ou une quart d'heure avant de décider le mariage), et encore moins une raison de faire défection quand on n'est plus amoureux mais déjà mariés.

C. S. Lewis en fin connaisseur de la litérature de l'amour note que l'amour de la poësie a longtemps été l'amour adultère. C'est en effet environs aux temps de la Renaissance que l'amour devient un préalable quasiment normal du mariage.

Chez les Protestants, puisque le Protestantisme spiritualise le séculier - métier et mariage, les deux devenant une vocation comme l'avait été la vocation monastique pour les ancêtres catholiques. On ne peut pourtant pas prétendre qu'un homme en général doive rester otieux jusqu'à avoir vocation à un métier spécifique, ni, selon l'adage melius est nubi quam comburi, de rester sans femme jusqu'à avoir une vocation de se marier avec telle ou telle femme.

Chez les Catholiques la raison est un peu différente de la part des prêtres (ou de l'église): si tel homme et telle femme sont amoureux, et l'un ou l'autre épouse une autre personne, tant qu'ils restent amoureux l'un de l'autre, alors leur amour deviendra une piège pour l'adultère, mais s'ils se marient, leur amour ne poussera pas toute leur vie mariée à cet excès d'amour conjugale qu'avaient reprouvé les moralistes du moyen âge (nimis proprie uxoris amator adulter est) et dans l'immédiat, tant que l'amorisité primaire dure, elle ne poussera pas à l'adultère mais à la fidélité.

Il y a donc pour des amoureux des raisons excellentes de se marier - si le mariage est licite, dont un critère reste l'ouverture à la fertilité, ce qui exclut très fermément ce néfaste projet de loi qu'on vient déjà de laisser passer par le Sénat, comme un autre critère, la fidélité, exclut le mariage avec une personne déjà mariée, et un troisième critère est la volontarité, ce qui exclut les mariages entre deux personnes trop jeunes ou entre une personne trop jeune et une autre qui ne l'est pas, les limites étant 14 et 12 à travers les siècles.

Mais il n'y a pas de raison de louer moralement chaque amour dont on peut faire de la bonne poësie, ni de reprouver un mariage juste parce que par quelque manque dans la mentalité de l'un au de l'autre (par exemple homosexualité ou asexualité) cette poësie fait défaut.**

Hans-Georg Lundahl
BpI, Georges Pompidou
Deuxième Dimanche après Pâques
14-IV-2013

*Les deux premiers étant celui des proches et bien connus (στοργη, dilectio), et celui des amis choisis avec lesquels on s'entend, sinon sur la réponse au moins sur l'importance des questions que d'autres ne comprennent pas (φιλια, amicitia).

**Quand je parle d'une poësie qui fait défaut entre deux personnes à cause d'homosexualité, j'entends biensûr qu'ils soient de sexe opposé. Deux homosexuels du même sexe manquent peut-être de la poësie partageable avec des autres (sauf s'il s'agit de deux femmes, il y a Sappho, il y a notre suédoise Karin Boye plus récemment, mais dont le passage le plus poëtique reste la louange de la maternité naturel dans un roman d'anticipation qui dépicte une société mondiale ou démimondiale ayant aboli la nature) - il leur reste néanmoins possible de détourner la poësie que d'autres ont écrit, notemment celle de l'amitié. Sam et Frodon et Robin et Batman sont deux paires d'amis dont cette tendance néfaste a pris des frais, très injustément.

Les livres dont j'ai tiré ces positions s'appellent, par Karol Wojtyla Miłość i odpowiedzialność (Amour et responsabilité, si je m'ose à une traduction), et par C. S. Lewis The Four Loves (Les quatre amours - soutîtré "Storge, Philia, Eros, Agape"), sans oublier The Allegory of Love, sa thèse doctorale, centré sur une lecture des deux parties inégales du Roman de la Rose mais avec sa suite dans la litérature anglaise et écossaise (il y en avait une avant l'union des royaumes) et avec des petits cursus de l'histoire de l'allégorie en dehors celle d'amour et de l'amour en dehors le contexte allégorique. Par Chesterton il y a un essai nommé "Two Stubborn Pieces of Iron".

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